Xavier Lhomme, "l'écriture plaisir" avant tout

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Né à Bordeaux de parents enseignants, au milieu des années soixante, Xavier Lhomme n'a pas brillé par ses études. Après avoir obtenu un BEP et quelques jobs temporaires dans l'industrie, il a eu la chance d'être recruté par une importante entreprise du secteur spatial & défense. Il en a profité pour faire des formations et suivre des cours, qui lui ont permis de progresser.
Ouvrier, technicien, informaticien, chargé de communication... Devenu père à 35 ans, il s'est lancé dans l'écologie politique pour voir s'il pouvait sauver le monde de ses enfants. En vain.
En 2008, il a quitté son entreprise nourricière pour se tourner vers le social. Formateur de jeunes chercheurs d'emploi, conseiller d'insertion professionnelle, agent à Pôle Emploi, chargé des relations avec les entreprises pour une structure d'accueil de personnes handicapées puis, pour terminer sa carrière, conseiller pénitentiaire dans une prison du Haut-Rhin où sont incarcérées des personnes condamnées à de lourdes peines.

C'est en Alsace, à partir de 2018, que Xavier Lhomme s'est lancé dans "l'écriture plaisir" en participant à des concours et des appels à textes. Très vite, il a obtenu des prix et été publié dans des revues et des anthologies d'éditeurs, un peu partout en France, en Belgique et bientôt en Suisse et au Québec.
En novembre 2022 paraît le premier livre avec sa seule signature, Dans les boyaux. aux éditions L'oiseau parleur.

Dans les boyaux 

ISBN : 978-2-494255-02-9

Site de l'auteur

Un recueil consacré à la Première Guerre mondiale : un centre d’intérêt particulier pour cette période, l’Histoire en général ou la condition de ceux qui l’ont vécue ?

Le choix du thème s’est imposé à moi : c’est en 2018 que je me suis lancé dans les concours de nouvelles et, centenaire de la fin de la guerre oblige, beaucoup de ces concours avaient pour sujet la Première Guerre mondiale. Cela fait que je me suis vite retrouvé avec une demi-douzaine de textes, dont certains ont été primés. Cela m’a donné l’idée de faire un recueil, j’ai donc écrit une demi-dizaine de textes pour compléter.
Je n’étais toutefois pas indifférent à cette période : je me souviens, enfant, avoir passé des heures à regarder une encyclopédie de la première guerre en dix volumes. Tous les jours, je dessinais des chars, des cuirassiers, des avions et des cavaliers. C’était ce qui me perturbait le plus dans cette guerre : il y avait des avions ET de la cavalerie !
Pour ce qui est de la condition des femmes, des relations humaines, ce sont des thèmes que j’aborde dans la plupart de mes textes, de façon plus ou moins frontale.

Au fil des nouvelles des personnages bien différents défilent : le "simplet" qui ne veut pas qu’on l’appelle "Gros lard", la femme engagée, le vigneron inquiet de son épouse, etc. Une identification, une préférence ?

Cela va peut-être t’étonner, mais le personnage auquel je m’identifie est La dame de la Poste. Elle est forte, déterminée, indépendante. Elle est un repère pour les autres, elle leur vient en aide, mais n’oublie pas de s’occuper de son propre bonheur.
Les personnages de mon livre que j’aurais aimé rencontrer ont tous existé : Marie Marvingt, Fernand Léger (qui apparaît sous le nom de Ferdinand Petit) et, surtout, Louis Aragon.

Pour arriver à ce niveau de précision sur l’époque, il a fallu réunir une documentation énorme (sous-marin allemand, grève en 1907, mécanique des avions, cinématographie, etc.)

Je mélange beaucoup mon propre vécu, qui est riche, et l’énorme documentation accessible par Internet. Ainsi, j’ai eu l’occasion de visiter plusieurs sous-marins, dont un SNLE de la force de dissuasion. J’ai longtemps travaillé dans une entreprise qui fabriquait des moteurs d’avion… L’essentiel de ma documentation vient toutefois de wikipédia, au point que j’ai décidé de contribuer financièrement à ce projet, en faisant un versement mensualisé.

Quelle méthode de travail : partir d’une situation et en creuser le contexte, ou partir d’une technique et l’habiller dans une intrigue ?

Il arrive parfois que l’histoire surgisse toute faite de mon cerveau, je n’ai plus qu’à la poser sur le clavier. Parfois, j’ai juste la chute et il me faut créer la progression qui va la justifier.
Plus je gagne en maîtrise de l’écriture et en confiance en moi, plus je donne de liberté à mes personnages. Aujourd’hui, quand j’écris une histoire, je me contente de poser un contexte (époque, lieu, problématique). Après avoir défini le caractère de chacun des personnages, je me contente d’observer comment ils se débrouillent !

Les nouvelles sont souvent à la première personne du singulier, comme si les personnages rapportaient eux-mêmes leur aventure. Un choix délibéré ou une tendance à se confondre avec eux ?

J’ai développé, avec le temps et en tant que travailleur social, de bonnes capacités d’empathie. Je suis capable d’adopter – sans forcément l’approuver – le point de vue

d’une personne qui m’est étrangère, autant dans son histoire de vie que dans sa structure mentale. Cela m’a été très utile ces dernières années, lorsque j’accompagnais des personnes condamnées pour des crimes.
En tant qu’auteur, je me régale à changer de mentalité, de genre ou d’espèce pour me glisser dans la peau d’un-e psychopathe, d’un animal, d’une femme, d’un enfant ou d’un-e extraterrestre !

Plusieurs nouvelles primées dans des concours ; que représente ce type d’épreuves : un moyen d’être « repéré », des galops d’essai ou le plaisir d’écrire avec une contrainte de temps et/ou de thème ?

Tout cela à la fois, et pas seulement. J’adore traverser la France pour recevoir un prix. En général, mon épousée – qui est aussi l’une de mes relectrices – m’accompagne. Cela nous permet de découvrir une ville, de rencontrer des passionnés de littérature, des acteurs locaux de la culture. En tant que débutant en écriture, ces prix m’ont beaucoup aidé, non seulement à prendre confiance, mais surtout à me sentir légitime dans le statut d’auteur.

Être publié, le rêve de bien des auteurs. Comment se sont rencontrés Xavier Lhomme en Alsace et l’Oiseau parleur en Normandie ?

Oui, c’est un rêve réalisé que de voir publié un premier livre avec son seul nom sur la couverture ! J’ai pris connaissance de l’existence de L’Oiseau Parleur par les réseaux d’auteurs. Un article venait de paraître dans lequel Alain David faisait un appel à manuscrits. Le mien, qui avait été refusé par de nombreuses maisons d’édition, était prêt. C’est l’un des premiers qu’il a reçus.

Demain, carte blanche : un roman ou un recueil de nouvelles ; quel choix ?

Question piège… Mais je prends les deux, bien sûr !
J’ai des dizaines de nouvelles en réserve, de quoi faire plusieurs recueils, dont certains dans d’autres genres littéraire : fantastique, polar, science-fiction.
J’ai également trois romans à des degrés différents de finition : une histoire mélangeant polar et fantastique, un fix-up (roman construit à partir de nouvelles) de science-fiction humoristique, un remake d’une saga mélangeant polar et science-fiction (j’adore les hybrides), publiée dans les années 80 et restée inachevée...
Pas encore commencé, car je laisse mûrir, j’ai aussi un projet de chroniques sur ma vie en Alsace et mon travail en prison.

Qu’est-ce qui pousse vers tel ou tel format ?

Je suis fondamentalement nouvelliste. C’est un format qui me convient parfaitement, autant par la densité d’écriture qu’il demande – on ne peut pas délayer, dans une histoire courte – que parce que je n’aime pas rester trop longtemps sur un seul travail !
Mes romans sont construits comme des assemblages de nouvelles. D’ailleurs, il m’arrive d’en extraire un chapitre pour en faire une nouvelle à l’attention d’un concours !

De quoi parlerait ce livre ?

Mes nouvelles et mes romans, tout en faisant le maximum pour amuser le lecteur, ont comme toile de fond les problématiques qui m’obsèdent : l’impasse écologique dans laquelle nous avons engagé notre planète, la bêtise dont nous faisons preuve collectivement. L’ignorance et l’inculture dans lesquelles les élites veulent maintenir les populations. La difficulté de communiquer, les menaces qui pèsent sur les femmes, les minorités, les faibles. L’absurdité du monde que nous avons créé.

S'appuyant sur le thème Dans le noir proposé au premier concours de La Nouve, Xavier Lhomme s'est prêté au jeu et présente une nouvelle inédite.

Chats dans la nuit

De la fumée, des tressautements, le bruit des sirènes dans l’obscurité, de brefs éclairs de lumière. Des cris, des appels. Un masque à oxygène vissé sur le visage, j’encaissais les chocs et vibrations créés par la course de la civière sur laquelle j’étais ligoté. Des deux pompiers qui me brancardaient, je ne voyais par intermittence que le large dos de celui qui était devant. Nous étions en train de dévaler les escaliers de l’hôtel Frantel. La moquette brûlée et détrempée émettait des gargouillis à chacun des pas de mes porteurs.
Notre équipage déboucha à l’air libre et se précipita vers l’une des ambulances qui attendaient dans la rue, gyrophares allumés dans la nuit. Nous n’y arrivâmes pas : un fourgon gris anthracite s’interposa, trois hommes armés en surgirent. Ils portaient des masques de déguisement en plastique, comme ceux que l’on peut acheter à la Foire aux plaisirs des Quinconces : Pat Hibulaire, l’un des plus vieux ennemis de Mickey Mouse, Tom, le comparse de la souris Jerry, et Sylvestre, dit Grosminet, infatigable chasseur de canari à grosse tête. Pendant que Pat et Tom maintenaient les pompiers en respect, Grosminet m’ôta le masque à oxygène d’un coup sec et me dévisagea.
— C’est lui. On y va !
Toujours saucissonné sur ma civière, je fus balancé sans ménagement à l’arrière du véhicule qui repartit sur les chapeaux de roue. Le tout n’avait duré qu’une poignée de secondes.
J’étais sidéré. Les bras collés le long du corps, je ne pouvais même pas me pincer pour me convaincre que je ne dormais pas. Je repensai au dernier texto de ma supérieure, la capitaine Pauline Benali : « N’y va pas seul ! Attends-moi. »
En colère, je ruai dans mon brancard sans arriver à le bouger. Je me mis à crier des grossièretés jusqu’à ce qu’une main, que je n’avais pas vu venir, me colle un coup de poing sur le nez. Surpris et vexé, je me tus. La douleur s’installa progressivement.
Nous fonçâmes pendant encore une dizaine de minutes avant de nous immobiliser. Tom le chat se pencha sur moi, me scella la bouche à l’aide d’un épais ruban de chatterton, m’enfila un sac sur la tête et me détacha de la civière. Deux personnes me prirent les bras, les lièrent dans mon dos avec le même adhésif. Elles me firent sortir de la camionnette et me précipitèrent dans ce que je devinai être le coffre d’une berline. Un autre trajet s’ensuivit, plus long, pendant lequel je fus secoué, ma tête heurtant tour à tour le plancher et divers objets métalliques fixés sur les parois. Un extincteur. Quelque chose qui pourrait bien être un cric.
Et une pelle pliante.
Une pelle !
Ma dernière heure était donc programmée ? Mais pour quelle raison ? Qu’est-ce qui pouvait amener un gang à s’emparer de moi et m’emmener dans un endroit lointain, peut-être au milieu d’un bois ou dans une gravière, pour m’exécuter et m’enterrer ? Allaient-ils pousser le vice jusqu’à me faire creuser ma propre tombe, comme dans les plus infâmes séries policières ?
Quand la voiture s’arrêta, je ne savais plus si je devais m’en réjouir ou le déplorer. J’entendis des claquements de portières, des bruits de voix, trop loin pour que je puisse comprendre ce qui se disait. Au bout d’un long moment, quelqu’un ouvrit le coffre, des mains m’aidèrent brutalement à descendre. Je fus entraîné le long d’une allée de gros gravier puis à l’intérieur d’un bâtiment. On me fit asseoir, me libéra les mains et me laissa là. Une porte se referma et la clé joua dans la serrure. J’étais bouclé, enfermé, prisonnier, tout ce qu’on veut…
Mais vivant.
J’ôtai avec soulagement le sac qui couvrait ma tête et l’adhésif qui me bâillonnait, arrachant au passage quelques-uns des poils qui agrémentaient mon visage d’homme « encore jeune ». Je palpai mon nez, plutôt douloureux, mais pas cassé. Ensuite, j’explorai les lieux à tâtons : une grande pièce vide, à l’exception d’un matelas posé sur le sol de ciment. Deux des murs étaient faits de parpaings, un troisième, qui comportait une porte en bois massif, était crépi. Le quatrième côté de la pièce était fermé par un portail métallique coulissant, assez large et haut pour laisser entrer un camping-car. Une lucarne, à deux mètres du sol, n’était pas fermée mais trop étroite pour que je puisse la traverser, à supposer que je réussisse à m’y hisser. Elle ne laissait passer aucune lumière, la nuit était sombre, mais je discernais des étoiles.
— Tout juste suffisant pour un chat, grommelai-je.
Justement, un chat y passa la tête, puis le corps, et sauta sur le sol. Il s’approcha de moi, se frotta contre mes mollets. Je m’assis sur le matelas posé le long du mur et lui caressai la tête. Il miaula avant de disparaître par la fenêtre en trois bonds : quelqu’un faisait jouer une clé dans la serrure.
La porte s’ouvrit.
Grosminet entra, son pistolet dans une main, dans l’autre une torche avec laquelle il m’aveuglait. Pat Hibulaire suivait avec une petite bouteille d’eau en plastique qu’il fit rouler au sol jusqu’à moi.
— Bois, tu vas en avoir besoin pour nous raconter tout ce que tu sais.
— Ce que je sais à propos de quoi ?
— De l’enquête, crétin ! s’exclama Grosminet. Et puis comment tu as échappé à l’incendie. Tu vois : ce genre de trucs !
Il fit une pause, puis soupira.
— Putain, ce masque me donne chaud !
Il commença à retirer sa tête de chat. Je criai.
— Non ! Ne faites pas ça !
— Et pourquoi donc ? Je suis beau gosse, tu sais.
— Quand j’aurai vu votre visage, vous serez obligé de me tuer.
— Ça, mon vieux, c’est prévu depuis le début, rigola Pat Hibulaire. Masque ou pas masque, tu n’y échapperas pas, de toute façon. Alors ce sera sans masque, en ce qui me concerne !
— Dans ce cas, mort pour mort, ce n’est même pas la peine d’espérer que je réponde à vos questions, répondis-je tout en me traitant d’imbécile, quel besoin avais-je de les provoquer ?
— À toi de voir, crétin, ricana Grosminet. Pense qu’on peut te faire mourir dans d’atroces souffrances, comme on dit à la télé.
Je me mis debout et décapsulai la bouteille d’eau minérale, en pensant à Pauline. C’est elle qui me tirait d’affaire, d’habitude. Que faisait-elle ?
Je bus lentement, en calculant mes chances. Elles étaient minces. Pat Hibulaire avait le gabarit d’un deuxième ligne de rugby. Grosminet était moins volumineux, mais pas maigrelet pour autant. Il me regarda vider la bouteille en plissant les yeux et répéta l’une des questions.
— Comment as-tu échappé à l’incendie ? Y avait pas moyen d’en sortir, t’étais piégé.
— Je n’en sais rien. J’ai voulu sauter par la fenêtre, comme les types du World Trade Center…
— Le quoi ? M’embrouille pas, crétin ! Pat, mets-en-lui une de ma part !
L’autre s’avança vers moi et me gifla avec force. Une douleur intense me traversa des cervicales jusqu’au front en passant par la pommette. Mon œil gauche se ferma. L’oreille du même côté n’entendait plus rien, si ce n’est un sifflement sourd et continu. À deux doigts de m’évanouir, je reculai jusqu’à m’appuyer le dos contre le mur.
Grosminet entreprit de se rouler une cigarette.
— OK, OK, je ne fais plus le malin… marmonnai-je, un goût de fer dans la bouche. J’étais coincé dans la piaule de l’hôtel. J’ai voulu sauter par la fenêtre. Je me suis évanoui. Je me suis réveillé sur la civière. Putain, j’ai la tête en feu !
— Ce n’est qu’un avertissement. T’as saisi à qui tu causes, maintenant ?
— Des terroristes ?
— Des terroristes ! T’en veux une autre, c’est ça ? Tu n’y es pas, crétin ! On est des commerçants. Et on a un problème : par ta faute, nos fournisseurs et nos clients sont pas contents. Et donc, nous non plus, on est pas contents.

— Quoi ? Je pige que dalle.
— On sait que tu mènes l’enquête sur le trafic de faux grands crus.
— Que dalle ! Je m’occupe des mœurs, pas des contrefaçons !
— À d’autres, mon vieux : notre réseau a intercepté une information officielle.
— N’importe quoi... On est en plein délire, là !
— Pat Hibulaire, colles-en une autre à ce crétin. On va lui apprendre à coopérer.
La deuxième baffe du balèze m’arracha un cri. Je tombai à genoux sur le sol, mes yeux s’emplirent de larmes qui se répandirent sur mes joues enflammées. De la morve me coulait du nez, je hoquetai.
Grosminet alluma sa cigarette et s’avança vers moi. Il me poussa légèrement du bout du pied, pour s’assurer que je reste attentif.
— On s’occupera de toi demain. Tu as tout le temps de faire tes prières, dit-il pendant qu’ils sortaient de la salle.
Violent mal de tête, probable entorse cervicale, j’avais du mal à me remettre. Après quelques minutes de silence – si l’on excepte les acouphènes qui vrillaient mon crâne – le chat vint aux nouvelles.
— Ah, Minou ! T’es pas comme ma capitaine, toi. Au moins, tu t’intéresses à ce qui m’arrive ! Tu sais quoi ? Il faudrait que je me débrouille pour sortir d’ici avant que les deux rigolos reviennent. Sinon, couic. T’as pas une idée ? Moi non plus. Que dis-tu d’inspecter ma prison ?
Le chat gambadant entre mes pieds, j’allai à la porte, au cas où elle serait mal fermée. Ce n’était pas le cas. Le portail aussi était verrouillé. J’allais sauter pour m’agripper au rebord de la petite fenêtre et regarder à l’extérieur quand le chat me devança en souplesse. Une fois perché là-haut, il tourna sur lui-même, bousculant un objet qui tomba au sol en émettant un son cristallin. Une clé !
Je m’empressai de débloquer le portail et de l’ouvrir sur une vingtaine de centimètres afin de voir ce qu’il y avait de l’autre côté. Il faisait nuit noire. Je distinguai une allée de gravier menant à un portail ouvert sur la rue. Une Talbot Solara attendait devant le garage.
— C’est un peu gros, tout ça, ça ressemble à un piège. J’en connais une qui me dirait « N’y va pas seul ! Attends-moi », pensai-je. Mais elle n’est pas là maintenant que j’ai besoin d’elle, alors on verra bien…
Je sortis du garage. Marchant sur les talons pour ne pas faire crisser le gravier, je tirai la poignée de porte de la voiture. La clé était sur le démarreur.
— Ça ne peut être qu’un piège ! Tant pis, je fonce.
L’antiquité démarra du premier coup et je quittai l’allée sans difficulté. La pendule de bord affichait 5:15 et la jauge indiquait que le réservoir était… vide.
Une fois dans la rue, j’allumai les feux. Je roulai quelques minutes au hasard, cherchant à me repérer. J’arrivai bientôt sur la D210 : j’étais donc à Blanquefort.
Je quittai la route et fis le tour du centre commercial de la Renney. À l’arrière du bâtiment, je stoppai la voiture et entrepris de la fouiller. Dans la boîte à gants, je trouvai un téléphone et divers papiers. Tout en poursuivant mon exploration, je composai le 17. Une voix masculine m’interrogea sur le motif de mon appel. Je débitai :
— Bonjour. Je suis le lieutenant de police Dimitri Mann. Je suis à Blanquefort. J’ai été séquestré par des trafiquants de vin. Je viens de m’échapper, mais je soupçonne un traquenard. Pouvez-vous contacter la capitaine Benali, lui dire que je suis vivant bien qu’un peu amoché, et lui demander de me rappeler sur ce numéro au plus vite ?
— C’est un téléphone crypté, lieutenant. Il va nous falloir du temps pour obtenir le numéro. Vous feriez bien de vous rendre à la gendarmerie ou à la clinique Jean Villar si vous êtes blessé !
— J’ai bien peur que mes ravisseurs ne m’y attendent… Une minute ! Il y a du mouvement, il faut que je me mette à l’abri.
— Lieutenant…
Je raccrochai sans attendre la suite et démarrai en trombe. La voiture se mit à tousser et n’atteignit pas la sortie du parking. J’ouvrais ma portière en espérant m’enfuir en courant quand une Citroën Berlingo aux flancs éraflés se gara à côté. Grosminet en surgit. Il avait remis son masque, qui brillait sous la clarté sombre des réverbères. Il me fit signe de sortir de la voiture. Je m’exécutai.
Debout, les mains en l’air sur le parking encore désert, je transpirais de peur et sentais mes sphincters au bord de la trahison. Alors, un éclat de lumière m’alerta, à cinquante mètres dans le dos de Grosminet. Une frêle silhouette, un pistolet à bout de bras, avançait vers nous avec précaution. Pauline, enfin ! Il fallait que je gagne du temps.
— À quoi bon cette mise en scène d’évasion ? Vous croyez tromper qui, en m’abattant sur un parking ?
— Ça peut nous faire gagner quelques heures, crétin, pendant que tes collègues vérifient que c’est bien une fausse piste. Et puis…
— Oui ?
— J’ai horreur qu’on me prenne pour un crétin, crétin ! Bon, je commence à fatiguer, là, il faut en finir.
Pauline était à une dizaine de mètres. Elle me fit signe de continuer la discussion. J’improvisai.
— Parlez plus fort, s’il vous plaît : la policière derrière vous n’entend pas ce que vous dites. D’ailleurs, mon capitaine, tu exagères, descends-le vite avant qu’il me tue !
— C’est ça, continue à me prendre pour un crét…
— Que personne ne bouge : Police nationale ! hurla la capitaine Benali, si fort et si haut dans les aigus que j’en sursautai.
Le trafiquant pivota et mit la jeune femme en joue. Je m’avançai dans son dos, me demandant comment je pouvais intervenir.
— Dimitri, sors de ma ligne de mire, je gère ! m’enjoignit Pauline. Toi, le chat en plastique, écoute bien : à partir de maintenant, c’est moi qui donne les ordres. Voici les deux premiers : mains en l’air, plus un geste !
Je m’immobilisai. L’autre ricanait, à son habitude.
— Tu n’oseras jamais tir…
Et voilà !
Je savais, moi, que ce n’était pas le genre de chose à dire. Comme elle savait se servir de son flingue, le bras de Grosminet qui tenait l’arme fut fracassé sans qu’aucun organe vital ne soit atteint. Il s’en sortirait avec quelques semaines de convalescence… en prison.
— Tu as de la chance que je sois de bonne humeur, dit-elle. Parce qu’en temps normal, un type qui ne sait pas prononcer une phrase sans dire « crétin », c’est une balle entre les deux yeux.
Un peu plus tard, une ambulance m’emmenait aux urgences : défiguré, je faisais peur à voir. Le lendemain, je reçus un appel de ma capitaine. Elle se montra toute gentille et attentionnée, prenant des nouvelles de ma santé. Je la remerciai et lui demandai des nouvelles de l’enquête.
— Grosminet sera bientôt en état d’être interrogé. Nous attendons le résultat des fouilles des véhicules et du repaire de tes ravisseurs.
— À propos de mes ravisseurs, ils croyaient que j’étais chargé de l’enquête… Qui a bien pu faire circuler cette information ?
D’entrée, Pauline reconnut que c’était elle, dans l’intérêt de l’enquête. Elle ne pensait pas que cela pouvait présenter un réel danger. La connaissant, je cherchai à la piéger.
— Si tu avais su que je risquais d’être enlevé, tu l’aurais fait quand même ?
Elle ne répondit pas et changea de sujet, me laissant une nouvelle fois dans le noir.

Xavier Lhomme, 2022